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Faire projet commun de société au Sénégal : les obstacles au compromis entre l'école traditionnelle islamique et l'école moderne
Oana Marina Panait  1@  
1 : UCL-MONS

À l'aube des années 2000, le gouvernement sénégalais a fait de la réalisation de l'éducation de base une priorité pour la décennie qui s'ouvrait (D'Aoust, 2012). Dans cette perspective, les autorités sénégalaises ont pris, à partir de l'année scolaire 2002-2003, une série de mesures qui ont touché les enseignements formel et non-formel pour élever les taux de scolarisation (Charlier, 2002 ; D'Aoust, 2012). L'intégration des écoles coraniques traditionnelles (les daaras), dont les enfants n'étaient pas jusque-là considérés comme scolarisés, dans le système national d'enseignement a été une de ces mesures. Cette intégration n'était toutefois imaginable que si ces structures acceptaient de revoir leur curriculum, qui se résumait jusque-là fréquemment à un apprentissage par cœur du Coran (Hugon, 2015). Différents projets, dont un projet de loi relatif au statut des daaras, ont été mis en place pour accompagner les daaras dans leur processus « modernisation ». Soutenu par une partie de la société sénégalaise, ce projet de loi a été vivement combattu par une autre partie.

En s'appuyant sur le modèle des cités de Boltanski et Thévenot (1991), cette communication présente les résultats d'une analyse des résistances que ce projet de loi a suscitées. Si l'idéal de justice est partagé par tous les acteurs, leurs références de justice sont très diverses. Dans ces conditions, il est inimaginable que la dispute, au sens de Boltanski et Thévenot, qui les oppose puisse se résoudre en se référant à un seul principe de justice. Seul un compromis entre les principes de justice en opposition permettra de fonder un accord entre les acteurs.

Ce compromis implique une mise en équivalence des arguments défendus par les acteurs. La mise en équivalence devra nécessairement être fondée sur un principe de justice particulier à partir duquel le compromis entre les principes de justice en opposition pourra être construit. En d'autres termes, si un ensemble de principes de justice pourront être mis en présence, ils seront ordonnés par un principe qui les dépassera tous.

Le compromis qui en résultera impliquera le primat de certains types de compétences sur d'autres, même s'il est accompagné d'un discours affirmant l'équivalence ou la complémentarité des savoirs. Les acteurs sénégalais ont une conscience aiguë des enjeux des négociations en cours, et c'est sans doute ce qui rend aussi difficile l'établissement de compromis entre l'école coranique traditionnelle et l'école moderne. Le problème à résoudre n'est pas uniquement technique, il est surtout de concilier des projets d'éducation qui ont chacun l'ambition de fixer dans la conscience des apprenants des repères qui vont guider la totalité de leurs comportements et qui sont dès lors construits pour se protéger de toute interférence avec d'autres projets.

Cette communication se base sur des données recueillies à travers différentes enquêtes de terrain réalisées à Dakar, une revue de la littérature scientifique récente qui traite de la question de la « modernisation » des daaras, une revue de la production journalistique produite sur le sujet ces dernières trois années, des archives audio-video et des articles de presse présents sur les websites des deux des plus grandes confréries au Sénégal, la Tij­āniyya et la Muridiyya, qui ne peuvent pas être soupçonnées de complaisance par rapport à ceux qui envisageraient d'entraver la socialisation religieuse des jeunes Sénégalais. 

Bibliographie

BOLTANKSI Luc, THEVENOT Laurent, 1991, De la justification, Paris, Gallimard.

CHARLIER Jean-Émile, 2002, « Le retour de Dieu : l'introduction de l'enseignement religieux dans l'École de la République laïque du Sénégal », Éducation et Sociétés, 10, p. 95-111.

D'AOUST Sophie, 2012, L'effectivité du droit à l'éducation au Sénégal. Le cas des enfants talibés dans les écoles coraniques, Paris, L'Harmattan.

HUGON Clothilde, 2015, « Les sëriñ daara et la réforme des écoles coraniques au Sénégal. Analyse de la fabrique d'une politique publique », Politique africaine, 139, p. 83-99.


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